Il était une fois...

"Vous avez l'air affamée, ma chère. Voulez-vous un peu de ce gargantuesque méchoui de mes anciens disciples, avant d'attaquer cette fameuse "salade de riz" ? Au fait, j'ai un certain Document Mirifique, ou DM pour les intimes, dont je dois vous remettre un copie, avant de l'envoyer à la benne."
"Rochard jouait décidément très bien la comédie", pensa Ningen tout en suivant le Maître dans l'antre ovine.

"Bon, alors, où est-ce qu'il a bien pu le cacher ?" continua-t-il a songer, l'air négligeant, tout en écoutant Salÿ bafouiller aux paroles mielleuses de Rochard.
"Sûrement là, derrière ce mouton noir. Voyons sous la paille... bingo ! Bon, comment on arme ça, pas le petit bouton rouge sur le côté, ça c'est pour tout faire péter... pas ça non plus... putain, mais où... ah voilà !"

wiiiiiiiiiiiiiiiiiii

- HOLA, malheureux..., commença Rochard.
- Pas de ça avec moi, Rochard, je sais parfaitement me servir de cet engin, alors pas de blague.
- Si vous savez si bien vous en servir, pourquoi avez vous appuyé sur le bouton violet ?, demanda alors Rochard à un Ningen dont la mine semblait de plus en plus déterminée.
- Ce bouton permet l'émission de radiations noires à faible intensité, Rochard, et ce n'est pas moi qui ai appuyé dessus, c'est votre mouton, c'est pour ça que c'est le seul mouton noir de votre troupeau, ça m'a mis la puce à l'oreille.
- Astuce terrible, conclut le Maître.

Le bluff de Rochard n'avait pas pris. Ce que ce dernier ignorait encore, c'est que Ningen avait fait partie un stage dans les forces spéciales de l'agence spécialement pour manier le fusil à radiations noires modèle "BlackWave TTTCB destruktor 1080" à canon rétroactif, ce qui faisait de Ningen une arme à tuer implacable. Du moins si on le mettait en condition...

- Et si vous nous donniez l'original du fameux DM, à présent ?, demanda Ningen.
- Si je fais ça, mes fournisseurs me tueront, rétorqua Rochard.
- Un homme plein de ressources comme vous s'en sortirait haut la main, reprirent Kathrÿn et Salÿ, la bouche en coeur.
- Mon chaton, ne t'en mêle pas, s'il te plait, dirent d'une même voix Rochard et Ningen, avant de se dévisager, médusés, l'un comme l'autre. Curieusement, aucune des filles ne releva le mot.
- Où en étais-je,dans tout ça ? Ah, oui... Vous savez que les DM en question contiennent des microfilms, indétectables sur une copie, et si vous ne le savez pas je vous l'apprends, mais vous DEVEZ me remettre ces documents dans l'heure. Sachant que vous êtes marchand d'armes, je ne me tracasserai pas trop, mais bon, si vous avez peur pour votre protection, l'Agence peut vous couvrir un temps, vous cacher, voire même vous donner une nouvelle identité. Alors ?
- Votre démonstration me plait ; on va s'arrêter là. Vous pourrez trouver les documents à cette adresse.

Ningen le sentait, Rochard mentait. Mais il n'avait d'autre choix que de prendre avec le sourire le morceau de papier que le Maître lui tendait. C'est alors qu'ils entendirent un bruit de neuro-copter se rapprochant à vive allure.

- Tiens, de la visite. Et peu amicale, vu le modèle d'aéronef. On va voir si j'ai encore des restes, dit Ningen en armant le fusil grâce au bouton pneumo-pressurisé à feedback en offset.
- Ce sont mes alliés, dit Rochard.
- Mais alors, ça veut dire que...
- Désolé, agent Ningen, mais je n'ai pas le choix. Ils tiennent ma femme en otage.

A cet instant, Ningen sentit un violent coup s'abattre sur sa tête. Il put juste s'apercevoir que le même sort était réservé à ses deux compagnes, avant de s'écrouler sur le sol, inamimé.

« Où suis-je ? » se demanda Ningen. Le monde semblait n’être qu’un tourbillon flou de couleur grisâtre et cet effroyable mal de crâne n’arrangerait rien. Un joueur de tam-tam fou jouait un rythme endiablé au niveau d’un point précis derrière le milieu des deux yeux.

Malgré sa vision à mise au point aléatoire, il réussit cependant à discerner la silhouette de Rochard. Celui-ci était vêtu d’un kimono que l’on devinait tissé par des moines tibétains dans un endroit secret aux propriétés magiques. L’aura qu’il dégageait faisait crépiter l’air avoisinant.
« Gn… M’eNfin…Qu’est-ce qu’il s’est passé ? » bafouilla Ningen.

Rochard eu un sourire satisfait.
« C’est bien simple mon pauvre garçon, contrairement à mon sexe, vous n’arrivez pas à ma cheville. Par conséquent, vous avez lamentablement échoué dans votre ersatz de tentative d’infiltration huhuhu… Mais ce qui me chagrine, c’est votre capacité certaine pour compliquer à coup sûr une histoire sensée être compréhensible par le premier venu. Résultat, plus personne ne sait où on en est! Enfin… plus personne à part moi huhuhu…Alors voila, on va reprendre à zéro et on va faire simple.
Pour commencer, êtes vous satisfait par votre travail à l’Agence ? »

Que ce rire stupide est agaçant ! pensa Ningen. Pour la peine, je ne répondrait pas. Puis il croisa le regard de son interlocuteur.
« Gnn…Oui, pLutôt satisfait » répondit il en repensant malgré lui aux formes généreuses de Kate et à cette salle d’explosifs comportant de nombreux panneau en rouge avec des dessins explicites.

« Mais c'est incroyable! N’avez-vous pas l’impression de n’être qu’un pion manipulé par un organisme sans visage aux buts réels cachés, et qui par un processus habile de manipulations et de flatteries vous envoie au charbon et récupère la gloire de vos succès ? » Une douce lumière bleue semblait maintenant émaner du Maître.
« Ne voyez vous pas que vous n’avez pas plus de liberté d’action qu’un petit poids qui rebondit sur la peau tendue d’un tambourin Massaï le jour de la fête des récoltes ? »

« Heuu… » répondit Ningen essayant en vain de comprendre la métaphore. Il était temps de reprendre la situation en main. « Où veut tu en venir raclure ? »
« Ne soyez pas vulgaire mon pauvre petit… C’est bien simple, je sais reconnaître du potentiel quand j’en vois, et quand je vous vois, je ne saurais dire si vous êtes incroyablement génial ou incroyablement stupide. Qui sait, peut être en creusant un peu cette couche de niaiserie qui vous recouvre, on arrivera peut être à faire quelque chose de vous…Voila, il m’arrive de temps à autre de prendre un disciple. Pour voir. Je vous offre formation et protection. Acceptez vous ? »

Il y eut un instant de silence tandis que Ningen levait son sourcil droit.
« Je vous rappelle au passage que je détient votre dulcinée et sa charmante soeur …»

Ningen esquissa un sourire, puis, sans lacher Rochard des yeux, il porta sa main à sa poche... vide. Les grenades n'y étaient plus. Son sourire disparu. Rochard ne cilla pas, son air demeurait grave.

"Qu'avez-vous fait de mes grenades? J'ai même pas eu le temps de les essayer!"
- "Vos grenades? Vous voulez parler des jouets que vous aviez dans votre poche? Mais mon ptit ça fait belle lurette qu'on n'utilise plus ce genre de matériel. Faut vous mettre à jour! Comment pouvez-vous travailler dans ces conditions! Réfléchissez sérieusement à ma proposition, et vite, je suis un homme très occupé."

Rochard n'était pas un homme à prendre à la légère, et Ningen avait vite compris que visiblement on le la lui faisait pas.
Bien qu'il haïsse l'agence, il avait tout de même des scrupules à changer de bord aussi vite. Cependant Rochard l'impressionnait, et il savait que son enseignement n'était pas à rejeter. Il apprendrait vraiment. Et puis Kate et Salÿ... bon... il ne valait mieux pas le laisser seules en sa présence. Non. Il ne fallait surtout pas.
Et puis merde quoi au pire il dirait à l'agence qu'il essayait de s'infiltrer.

"Très bien. J'accepte. Mais j'aimerais discuter de mes honoraires."
- Ah ah ah. Vos honoraires...
Commencez donc par m'appeler Maître. On verra pour la suite. Inutile de vous dire de ne pas essayer de jouer au plus malin avec moi."

Son regard mauvais incita Ningen à ne pas rétorquer. Un froncement de sourcil lui fit répondre : "Oui maître".

D'un pas lent, Rochard se dirigea vers la porte de la petite pièce dans laquelle Ningen s'était réveillé. Une pièce fort simple, composée seulement d'un petit matelas posé à même le sol. L'endroit idéal pour subir une éducation rigoureuse mais efficace.

"Suivez-moi".

Ningen s'empressa de se coller derrière lui. Il lui sembla discerner des restes de feutres sur le dos du kimono, mais il n'y prêta pas vraiment attention.

Le lendemain à l'aube, Ningen fut réveillé par un frappement assourdissant suivi d'un bon seau d'eau. Il rêvait toujours.

- PITIE !!! J'ai une femme et trois gosses. Enfin, non, mais je pourrais. Arrêtez ça ! Mais qu'est-ce que c'est encore que ce tam-tam ? Non, pas la falaise, nooooooooooooon !!!!
- Allons bon, mon pauvre disciple, reprenez vos esprits ! La journée de travail qui nous... qui vouq attend n'est pas des plus aisées, bien qu'elle fût la première. Levez-vous, je veux vous voir dans la cour pour les cent pompes sans respirer réglementaires d'ici 15 secondes
- Mais... commença Ningen.
- 12, 11, 10... reprit le Maître.
- Fait chier dit-il finalement en se levant à contrecoeur.

Ningen savait que trahir l'Agence avait un prix, et mieux il était préparé, plus ils auraient du mal à l'attraper. Vivant, en tout cas. Car la procédure était claire pour les traitres : aussi aberrant que cela paraisse, ils les gardaient en vie, pour savoir pourquoi ils avaient eu recours à la trahison, peut-être une sorte de service après vente pour ne pas reproduire avec d'autres agents les mêmes bétises qu'avec les anciens.

Pendant les longues phases de méditation de Ningen, car celui-ci n'en manquait pas, Rochard lui faisait faire les corvées basiques du tâcheron. Le jour il trimait, la nuit il était trop fatigué pour dormir. C'est ainsi que le desormais mercenaire Ningen (ou agent triple, comme il se plaisait à le croire), non content de méditer le jour, méditait aussi la nuit. Au bout du 11e jour, il parvint finalement à trouver le sommeil.

"La forme physique est fondamentale pour réussir ce grand concours qu'est la vie", pensait Rochard en observant Ningen, assoupi, "vu qu'il m'a confié qu'il méditait, peut-être en ferai-je quelque chose d'intéressant. Maintenant commence le vrai entrainement."
Mais il connaissait l'Agence et ses méthodes. Si Ningen était un élément au desssus de tout soupçon, au moins l'une des filles trempe dans du louche, pensait-il... Il serait prudent de lever le camp pour un endroit inconnu de Ningen et sans prévenir personne. Ca lui fera un choc, mais les voyages forment la jeunesse. Ce type n'avait pas 30 ans, et il pouvait en faire rapidement une machine à tuer, et qui sait, renverser l'Agence et revenir à un mode de gouvernement un peu moins militaire.
Le lendemain était le jour idéal. Rochard drogua Ningen dans son sommeil par une IV de neuro-toxine à rayon d'action hypothalamique. Il allait faire de beaux rêves pendant 72 heures. Ca laissait assez de temps a Rochard pour disparaitre et faire brûler sa bergerie. Qu'à cela ne tienne, il y avait toujours possibilité de construire un abri dans les montagnes aux neiges éternelles. C'est cependant la mort dans l'âme que Rochard se résolut à abandonner ses hommes, les MP, car s'il les savait loyaux, il les savait aussi corruptibles. Ils comprendraient. Ils en avaient vus d'autres.

3 jours plus tard, Ningen fut réveillé par un souffle glaçant qui crispait ses orteils. C'était celui de la montagne. La rage au ventre, il comprit rapidement, non sans force explications de la part de Rochard, que celui-ci avait agi dans leur intérêt. Et entreprit d'aider le Maître à terminer de construire leur abri, avant de passer à la formation proprement dite.

8 ans passent...

Ningen s'affairait a faire prendre le feu dans cet hiver rigoureux et permanent qu'est le sommet ou Rochard et lui s'étaient retirés. Il attendait son Maître, qui depuis quelques jours était partis en mission d'infiltration, "objectif nourriture", car le bouquetin, ça va un temps, mais la viande est dure.
Ces années d'apprentissage avait fait de Ningen un tout autre homme physiquement, moins pataud dans sa démarche, aux muscles plus affutés, très souple malgré ses bientôt 37 ans. L'alimentation de Rochard avait proté ses fruits, c'est le cas de le dire, vu qu'elle était principalement composée de fruits depuis quelques temps.
Sur le plan psychique aussi, Ningen était changé : Rochard lui avait appris à contrôler ses crises, ainsi que ses déprimes liées à l'abandon de son ancienne vie, de sa facilité, de son confort, de Salÿ et de tout le reste. A défaut d'être devenu aussi intelligent que son Maître, il était bien plus lucide de ses défauts, et savait les pallier, voire même les utiliser contre l'adversaire. L'adversaire, cependant, n'avait pour l'instant été qu'une planche de bois anthropomorphe, si bien que Ningen ne savait pas réellement de quoi il était capable.

Mais il allait se produire un événement qui allait lui donner l'étendue de sa vraie valeur. En effet, alors que le feu se décidait enfin à partir, il entedit au loin un battement. Un battement qui se rapprichait. Un battement de pâles de copter.
"Ce n'est pas mon Maître, jamais il n'aurait commis l'imprudence de venir ici en aéronef sachant que les radars de l'Agence balaient le monde entier", pensa-t-il.

Ce ne pouvait alors qu'être un visite hostile, car il était impossible aux yeux de Ningen que ce fût le fruit du hasard. Et il avait raison.

Il se remémora en quelques fractions de secondes les milliers d'heures d'enseignement qu'il avait reçues, et, tous les sens en alerte, il se prépara à recevoir l'importun comme il convenait et lui foutre une bonne branlée, ou le cas échéant, à mourir honorablement.